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Runner’s high – données factuelles, pertinence clinique et questions en suspens
Dans certaines conditions, les coureurs peuvent ressentir le runner’s high, une sensation d’euphorie au potentiel clinique élevé.
10.06.2025

Le runner’s high décrit un état éphémère, souvent soudain, d’euphorie, de sérénité, de soulagement de l’anxiété et de diminution de la sensation de douleur pendant ou juste après un effort d’endurance prolongé. Depuis sa première description en 1978 dans le livre «Running and Being» de John J. Rate et William A. Smith, ce phénomène fascine aussi bien les neuroscientifiques que les cliniciens, car il révèle des mécanismes neurobiologiques qui pourraient être utilisés à des fins thérapeutiques. L’accent est mis aujourd’hui sur deux systèmes qui interagissent entre eux: le système endocannabinoïde (SEC) ou cannabinoïde endogène (eCB) et le système opioïde endogène. Dans ce contexte, le mécanisme d’action exact n’est pas encore clairement élucidé à l’heure actuelle; des explications scientifiques apparaissent toutefois pour les deux théories, qui seront brièvement expliquées par la suite.
Système endocannabinoïde – niveau de preuve élevé
Le candidat central est l’anandamide (arachidonyléthanolamide, AEA), l’un des deux principaux endocannabinoïdes. Son nom est dérivé du mot sanskrit «ananda», qui signifie «béatitude». L’anandamide se lie en tant qu’agoniste partiel aussi bien aux récepteurs cannabinoïdes 1 (CB1) qu’aux récepteurs CB2, mais avec une affinité différente (plus élevée pour les récepteurs CB1, qui se trouvent en premier lieu dans le système nerveux central). Il a été démontré que l’anandamide médié par CB1 inhibe la transmission de la douleur dans la moelle épinière et le cerveau en réduisant la libération de neurotransmetteurs tels que le glutamate, entraînant ainsi une inhibition de la perception de la douleur (analgésie) à plusieurs niveaux du système nerveux et également une modulation de la sensibilité des nocicepteurs. Des expériences menées sur des animaux ont montré que le blocage des récepteurs CB1/CB2 empêchait les effets d’entraînement anxiolytiques et analgésiques [1].
Plusieurs études sur l’homme ont trouvé des augmentations significatives des niveaux d’anandamide après 30-45 minutes de course à pied ou de vélo à 70-85 pour cent de la fréquence cardiaque maximale (FCmax), qui sont étroitement corrélées à l’euphorie subjective [2]. Le système endocannabinoïde est ainsi considéré aujourd’hui comme le principal médiateur du runner’s high.
Hypothèse opioïde/endorphine – niveau de preuve modéré
Des travaux antérieurs ont situé l’effet au niveau des bêta-endorphines, mais leur hydrophilie empêche le passage de la barrière hémato-encéphalique. Des études TEP avec [18F]-FDPN ont toutefois montré une réduction de la disponibilité des récepteurs opioïdes dans les régions frontolimbiques après une course d’endurance de deux heures; cette baisse était inversement associée à l’euphorie ressentie [3]. En revanche, des études récentes sur l’homme attribuent aux opioïdes un rôle plutôt secondaire ou ont même démontré qu’ils étaient insignifiants [4].
Autres neurotransmetteurs
Un autre mécanisme d’action pourrait être ce que l’on appelle le «dialogue muscle-cerveau». Dans ce cas, des myokines (comme l’irisine) sont libérées dans le muscle et sont associées à la régulation de l’humeur. En outre, l’IL-6 – comme d’autres facteurs modulant l’inflammation – peut également influencer à court terme le bien-être psychique.
Il semble également qu’un entraînement d’une durée d’au moins 30 minutes favorise la libération de dopamine dans le système de récompense, de sérotonine dans le système Raphe et le BDNF, ce qui est censé améliorer les fonctions cognitives. Ces effets sont toutefois complexes et sont généralement médiés par une action indirecte.
Paramètres d’entraînement pour une «euphorie» garantie
Les valeurs indicatives pratiques suivantes peuvent être déduites sur la base des ouvrages existants:
- Forme: la course à pied permet d’atteindre les plus hauts niveaux d’anandamide, suivie du cyclisme.
- Intensité: les efforts à 70-85 pour cent de la FCmax augmentent les niveaux d’anandamide de manière fiable.
- Durée: au moins 20 minutes nécessaires; effets marqués à partir de 30-40 minutes.
- Environnement: les environnements naturels semblent en outre moduler positivement le SEC.
- Fenêtre de mesure: les environnements naturels semblent en outre moduler positivement le SEC.
- Valeur de l’effet: augmentation des niveaux d’anandamide de 2 à 4 fois (par rapport à la valeur au repos); jusqu’à 3,5 à 4 fois lors de séances d’entraînement plus intensives (en particulier chez les personnes bien entraînées).
Application clinique
Dépression: une revue systématique a montré que les programmes d’endurance aérobie (≥ 12 semaines, 3×/semaine) ont des effets antidépresseurs équivalents à ceux d’une pharmacothérapie en cas de symptômes légers à modérés [5].
Troubles anxieux: des méta-analyses ont montré qu’un entraînement régulier réduit les niveaux d’anxiété de manière modérée [6].
Douleur chronique: les effets aigus en termes d’hypoalgésie sont bien établis, alors que les données à long terme sont hétérogènes et dépendent de l’intensité, des diagnostics et des méthodes de mesure.
Sur le plan thérapeutique, un entraînement d’endurance individualisé (≥ 30 minutes, 70-85 pour cent de la FCmax, 3-5×/semaine) devrait donc être intégré dans des concepts multimodaux.
Controverses et lacunes de la recherche
- Détection de l’hypoalgésie: détection inégale en raison d’évaluations divergentes de la douleur.
- Sédation: les revues systématiques ne trouvent pas de modifications claires de la vigilance.
- Adaptations à long terme: l’entraînement chronique semble freiner l’activité du SEC; les conséquences fonctionnelles de ce phénomène sont encore inconnues.
- Variabilité interindividuelle: différents facteurs (génétique, état d’entraînement, sexe et état psychologique) modulent la réponse de l’eCB et l’expérience subjective.
- Nerf vague: les premières hypothèses prévoient une activation des voies afférentes du nerf vague par les eCB, comparable à une thérapie de stimulation du nerf vague.
L’illustration ci-dessous résume les faits pertinents actuellement connus sur le runner’s high.

Perspectives
Les études futures devraient clarifier les cinétiques de l’eCB dans le cadre d’événements Ultra, le rôle de l’activité de l’hydrolase d’amides d’acides gras (en abrégé HAAG), l’interaction entre le SEC, les systèmes dopaminergique et opioïde, ainsi que les courbes dose-réponse pour des groupes de patients spécifiques. Les séquences TEP avec des ligands spécifiques à l’eCB et les prélèvements sanguins continus lors de courses > 30 kilomètres sont considérés comme des approches prometteuses.
Conclusion
Le runner’s high n’est pas un mythe, mais un phénomène neurobiologique bien reproductible avec un potentiel clinique élevé. Alors que les cannabinoïdes endogènes sont considérés comme les principaux médiateurs, les opioïdes, la dopamine, la sérotonine et le BDNF contribuent de manière additive à l’effet global positif. Un entraînement d’endurance bien dosé peut ainsi constituer un module peu coûteux et sans effets secondaires dans le traitement de la dépression, de l’anxiété et de la douleur chronique – à condition que les différences individuelles soient prises en compte et que les recherches futures comblent les carences factuelles encore existantes.
Bibliographie
- Fuss J, Steinle J, Bindila L, Auer MK, Kirchherr H, Lutz B, Gass P. A runner's high depends on cannabinoid receptors in mice. Proc Natl Acad Sci USA. 2015 Oct 20;112(42):13105–13108.
- Sparling PB, Giuffrida A, Piomelli D, Rosskopf L, Dietrich A. Exercise activates the endocannabinoid system. Neuroreport. 2003 Dec 2;14(17):2209–2211. doi: 10.1097/00001756-200312020-00015. PMID: 14625449.
- Boecker H, Sprenger T, Spilker ME, Henriksen G, Koppenhoefer M, Wagner KJ, Valet M, Berthele A, Tolle TR. The runner's high: opioidergic mechanisms in the human brain. Cereb Cortex. 2008 Nov;18(11):2523–2531. doi: 10.1093/cercor/bhn013. Epub 2008 Feb 21. PMID: 18296435.
- Siebers M, Biedermann SV, Bindila L, Lutz B, Fuss J. 2021. Exercise-induced euphoria and anxiolysis do not depend on endogenous opioids in humans. Psychoneuroendocrinology 126:105173. doi: 10.1016/j.psyneuen.2021.105173. PMID: 33582575.
- Morres ID, Hatzigeorgiadis A, Stathi A, Comoutos N, Arpin-Cribbie C, Krommidas C, Theodorakis Y. Aerobic exercise for adult patients with major depressive disorder in mental health services: A systematic review and meta-analysis. Depress Anxiety. 2019 Jan;36(1):39–53. doi: 10.1002/da.22842.
- Stubbs B, Vancampfort D, Rosenbaum S, Firth J, Cosco T, Veronese N, Salum GA, Schuch FB. An examination of the anxiolytic effects of exercise for people with anxiety and stress-related disorders: A meta-analysis. Psychiatry Res. 2017 Mar;249:102–108. doi: 10.1016/j.psychres.2016.12.020.