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Causes, conséquences et pistes de solution en matière de polymédication

Avec l’âge, le nombre de médicaments prescrits augmente; parallèlement, la pharmacocinétique et la pharmacodynamique se modifient, ce qui accroît le risque d’effets indésirables. Divers outils existent pour limiter ces risques.

La polymédication est particulièrement fréquente chez les personnes âgées – et elle n’est pas sans risques. Photo: Adobe Stock / Ingo Bartussek
La polymédication est particulièrement fréquente chez les personnes âgées – et elle n’est pas sans risques. Photo: Adobe Stock / Ingo Bartussek

La polymédication, définie comme la prise régulière de cinq médicaments ou plus, varie selon les pays, les tranches d’âge et le contexte de soins. Même si la Suisse figure parmi les pays européens où la prévalence est relativement basse, celle-ci augmente fortement avec l’âge [1]. Dans la médecine de premier recours, on observe une prévalence de 45,3% chez les 65–80 ans, qui grimpe à 64,6% chez les 81–92 ans, et atteint 86% chez les résidents en établissements médico-sociaux [2, 3]. Selon Meyer-Massetti et al., près de 80% des personnes en EMS prennent des médicaments potentiellement inadaptés [3]. En raison des risques associés à la polymédication, tels que la mortalité, les chutes, les hospitalisations, les interactions médicamenteuses et les effets indésirables des médicaments, la non-observance et donc l’augmentation des coûts de santé, la polymédication est un sujet central [1].

Causes de la polymédication

Avec l’âge et le nombre croissant de comorbidités, un traitement strictement conforme aux directives spécifiques à la maladie conduit presque inévitablement à une polymédication. Le problème est que les personnes âgées qui souffrent de multimorbidité sont souvent exclues des études sur lesquelles se basent les directives. Pour ces patients, une médecine vraiment fondée sur les preuves doit donc intégrer non seulement les preuves spécifiques à la maladie, mais aussi l’expérience clinique et les préférences individuelles [4].

D’autres facteurs favorisent la polymédication: la prise en charge par plusieurs spécialistes, la communication parfois insuffisante entre les intervenants, des listes de médication incomplètes et les fameuses «cascades de prescriptions» – situations où un effet indésirable d’un médicament est traité par l’ajout d’un autre médicament au lieu de revoir le traitement initial. Enfin, des traitements instaurés avec succès ou sans succès pour des symptômes transitoires ou pour un tableau clinique qui a évolué ne sont pas toujours arrêtés lorsqu’ils ne sont plus nécessaires [5].

Modification de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique

Les modifications pharmacocinétiques et pharmacodynamiques liées à l’âge sont souvent sous-estimées. La clairance rénale diminue et le métabolisme hépatique de premier passage peut être réduit; les volumes de distribution se modifient, entraînant des concentrations plus élevées pour les médicaments hydrophiles et une prolongation de la demi-vie d’élimination des médicaments lipophiles. Les processus de régulation physiologique sont souvent altérés, ce qui réduit la capacité à maintenir l’homéostasie lors de stress physiologique. La perte de substances neuronales, la diminution de l’activité synaptique et une pénétration plus rapide de certaines molécules dans le système nerveux central augmentent par ailleurs la sensibilité à certains médicaments. Les fluctuations du taux d’albumine, qui surviennent fréquemment en cas de maladies aiguës ou de malnutrition, sont également importantes, car elles modifient la fraction libre d’un médicament [6].

Une prudence particulière s’impose par exemple avec les médicaments à effet anticholinergique, car ceux-ci sont souvent associés à une détérioration cognitive, une constipation, une rétention urinaire et une hypotension orthostatique [6].

En raison des mécanismes de régulation modifiés, la médecine gériatrique vise également d’autres valeurs tensionnelles cibles en fonction des comorbidités: la réduction du risque cardiovasculaire doit être mise en balance avec le risque de vertige, d’orthostase, de déséquilibres électrolytiques et de chutes [6].

Le traitement du diabète nécessite aussi une évaluation des risques et des bénéfices, car, en particulier chez les personnes fragiles âgées de plus de 85 ans, le temps nécessaire pour constater les avantages d’un contrôle strict de la glycémie dépasse souvent leur espérance de vie et doit être mis en balance avec les risques d’hypoglycémie [6].

L’usage d’anti-inflammatoires non stéroïdiens chez la personne âgée comporte des risques accrus d’hyperkaliémie, d’hypertension, d’aggravation d’insuffisance cardiaque, d’insuffisance rénale et d’hémorragies gastro-intestinales [6].

Dans le cadre de la prise d’antipsychotiques, on a signalé un risque accru de mort cardiaque subite, de pneumonie due à des troubles de la déglutition pouvant être liés à l’effet anticholinergique, ainsi qu’une tendance à la thrombose [6].

Les benzodiazépines, qui s’accumulent davantage dans le tissu adipeux avec l’âge, voient leur demi-vie s’allonger et exposent à un risque accru de délire, de vertiges, de troubles psychomoteurs et de chutes [6].

Les antidépresseurs tricycliques, en raison de leur profil anticholinergique, sont en général à éviter chez les patients gériatriques; il est préférable de privilégier des antidépresseurs de deuxième génération comme le citalopram, l’escitalopram ou la sertraline, ou des alternatives comme la mirtazapine ou le trazodone, qui présentent un profil d’effets secondaires plus favorable [6]. De même, dans le cadre d’un traitement au lithium chez les personnes âgées, on vise un taux plus bas, compris entre 0,4 et 0,6 mmol/l, en raison de la détérioration prévisible de la fonction rénale et de la fréquence des comédications, qui influencent l’équilibre hydrique et électrolytique [6, 7].

Stratégies pratiques pour gérer la polymédication

Différents outils sont disponibles pour éviter les médicaments potentiellement inadéquats, pour lesquels le risque d’effets indésirables l’emporte sur les bénéfices et pour lesquels il existe des alternatives plus sûres et/ou plus efficaces (voir ci-dessous) [8].

Avant d’introduire un nouveau médicament, il convient d’établir une liste complète et à jour de tous les traitements en cours. Les patients doivent être encouragés à signaler toute modification médicamenteuse effectuée par un autre professionnel à leur médecin traitant, et les soignants externes doivent systématiquement informer le médecin de famille des changements effectués [4].

  • Pour la déprescription, l’algorithme «Good Palliative Geriatric Practice» (GPGP), modifié d’après Garfinkel, peut p. ex. être utilisé pour revoir la médication chez les personnes très âgées ou en situation palliative [4, 9]:
  • Vérification d’un sous-traitement/sur-traitement: critères START/STOP [4].
  • Médicaments potentiellement inappropriés, y compris alternatives, ajustement posologique et surveillance: liste PRISCUS [4].
  • Aide à l’évaluation des bénéfices et des risques: classification FORTA [4].
  • Estimation du pronostic et indication du «délai avant bénéfice» à l’aide d’ePrognosis: https://eprognosis.ucsf.edu
  • Évaluation des effets anticholinergiques des médicaments: www.acbcalc.com

Bibliographie

  1. Bonanno EG, Figueiredo T, Mimoso IF, Morgado MI, Carrilho J, Midão L, Costa E. Polypharmacy Prevalence Among Older Adults Based on the Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe: An Update. J Clin Med. 2025 Feb 17;14(4):1330. doi: 10.3390/jcm14041330. PMID: 40004860; PMCID: PMC11856818.
  2. Rachamin Y, Jäger L, Meier R, Grischott T, Senn O, Burgstaller JM, Markun S. Prescription Rates, Polypharmacy and Prescriber Variability in Swiss General Practice – A Cross-Sectional Database Study. Front Pharmacol. 2022 Feb 14;13:832994. doi: 10.3389/fphar.2022.832994. PMID: 35237170; PMCID: PMC8884695.
  3. Meyer-Massetti C, Osińska M, Welte N, Zúñiga F. Medication-related infrastructure and medication reviews in nursing homes – a rapid appraisal study. BMC Health Serv Res. 2025 Apr 2;25(1):495. doi: 10.1186/s12913-025-12505-2. PMID: 40176007; PMCID: PMC11967028.
  4. Institut für Hausarztmedizin der Universität Zürich. Guideline Polypharmazie (2023): www.guidelines.fmh.ch/downloads/23084128/download-de.pdf (27.8.2025).
  5. Gelbe Liste: Polymedikation. www.gelbe-liste.de/arzneimitteltherapiesicherheit/polymedikation
  6. Ngcobo NN. Influence of Ageing on the Pharmacodynamics and Pharmacokinetics of Chronically Administered Medicines in Geriatric Patients: A Review. Clin Pharmacokinet. 2025 Mar;64(3):335-367. doi: 10.1007/s40262-024-01466-0. Epub 2025 Jan 11. Erratum in: Clin Pharmacokinet. 2025 Mar;64(3):463. doi: 10.1007/s40262-025-01494-4. PMID: 39798015; PMCID: PMC11954733.
  7. Nardi M, Anwander M, Rüegger-Frey B, Bopp-Kistler I. Es gibt nicht nur die Alzheimer-Demenz. Praxis. 2012 Jul 25;101(15):977-81. doi: 10.1024/1661-8157/a001006. PMID: 22811332.
  8. Corsonello A, Onder G, Abbatecola AM, Guffanti EE, Gareri P, Lattanzio F. Explicit criteria for potentially inappropriate medications to reduce the risk of adverse drug reactions in elderly people: from Beers to STOPP/START criteria. Drug Saf. 2012 Jan;35 Suppl 1:21-8. doi: 10.1007/BF03319100. PMID: 23446783.
  9. Neuner-Jehle S, Krones T, Senn O. Systematisches Weglassen verschriebener Medikamente ist bei polymorbiden Hausarztpatienten akzeptiert und machbar. PRAXIS 2014;103(6):317-322.