• Focus: salute globale

Des villes fraîches pour garder la tête froide

Dans les zones urbaines densément construites, la température peut être jusqu’à dix degrés plus élevée que dans les environs. Des solutions architecturales peuvent atténuer cet effet, en rafraîchissant la ville et en améliorant la qualité de vie. Elles ne permettent toutefois pas de résoudre tous les problèmes.

Grâce à la désimperméabilisation des surfaces urbaines, l’eau de pluie peut être stockée localement et s’évaporer en période de chaleur. Un exemple réussi: le Passeig de Sant Joan à Barcelone. Photo: Adrià Goula
Grâce à la désimperméabilisation des surfaces urbaines, l’eau de pluie peut être stockée localement et s’évaporer en période de chaleur. Un exemple réussi: le Passeig de Sant Joan à Barcelone. Photo: Adrià Goula

Quiconque revient en ville depuis la campagne un soir d’été ressent physiquement l’effet d’îlot de chaleur. La structure même des villes – avec une grande part de surfaces imperméables et relativement peu d’espaces verts – combinée à la chaleur dégagée par les bâtiments et la circulation, contribue à la surchauffe urbaine. Chaque ville devient ainsi un lieu où la température est plus élevée que dans sa périphérie: c’est ce qu’on appelle l’îlot de chaleur urbain. Toutes les surfaces massives deviennent alors des réservoirs de chaleur, qui se réchauffent pendant la journée et libèrent lentement leur chaleur la nuit. Seuls les courants d’air peuvent y remédier en transportant la chaleur et en accélérant le refroidissement. Par rapport à des zones moins densément peuplées, les centres-villes peuvent enregistrer des températures jusqu’à 10 °C plus élevées – même la nuit [1].

Optimisation coûteuse ou statu quo insuffisant?

Les villes réagissent de manière sensible au changement climatique, ce qui pose de grands défis aux domaines de l’architecture et de l’urbanisme. Ces défis vont de l’adaptation des nouvelles constructions aux normes actuelles jusqu’à la rénovation complète de quartiers entiers.
L’objectif est de créer dans nos villes et maisons un microclimat favorable au bien-être des habitants. Cette tâche est complexe en raison du grand nombre de facteurs interdépendants. Il faut également trouver un équilibre entre une optimisation ambitieuse – qui peut accentuer le changement climatique à cause des émissions qu’elle génère – et l’acceptation d’un statu quo qui reste insuffisant à certains égards. Construire – même avec des matériaux durables – émet d’importantes quantités de CO2 lors de la production, du transport et de l’élimination des matériaux. Aujourd’hui, on estime que l’impact environnemental de la construction d’un bâtiment est plus important que celui de son exploitation sur l’ensemble de sa durée de vie.

Le refroidissement actif en dernier recours

Pour mieux comprendre la situation globale, il convient d’examiner les mesures nécessaires pour créer une ville agréable à vivre.
La mesure apparemment la plus simple et la plus efficace est le refroidissement actif des bâtiments. Mais cela ne devrait être utilisé qu’en dernier recours, car selon les principes de l’échange thermique, il réchauffe toujours l’environnement immédiat, provoquant ainsi une boucle de rétroaction qui augmente encore le besoin de refroidissement. Dans les zones densément peuplées, il est donc essentiel de recourir à d’autres solutions.

Stockage et libération ciblés de la chaleur

Certaines mesures permettent de réduire l’apport de chaleur et le réchauffement de l’air ambiant par le soleil durant les mois d’été. Il s’agit notamment de réduire les surfaces vitrées au strict minimum et de recourir à des matériaux à forte inertie thermique. Grâce au réchauffement plus lent de ces matériaux (comme les sols et plafonds minéraux), l’air intérieur se réchauffe plus lentement et les variations de température sont atténuées.
Cela suppose qu’une bonne circulation d’air nocturne permette l’évacuation de la chaleur accumulée. Ainsi, les surfaces peuvent à nouveau stocker de la chaleur le lendemain sans se transformer en radiateurs. Pour que cette circulation nocturne fonctionne, des corridors aérés doivent relier les espaces non bâtis autour de la ville aux différents ensembles de bâtiments. Bien que ces flux d’air puissent être simulés par des logiciels, leur maintien devient de plus en plus difficile avec la densification urbaine. Il est donc essentiel de prendre aussi des mesures locales.

Du jardin de balcon à la «ville éponge»

Les plans d’eau ouverts, les arbres, les espaces verts ou perméables sont des solutions efficaces car ils favorisent l’évaporation de l’eau. L’énergie nécessaire à l’évaporation est partiellement extraite de l’air ambiant, ce qui en abaisse la température (enthalpie de vaporisation). En plus de réguler la température, le concept de «ville éponge» aide à stocker localement les eaux pluviales et soulage les réseaux d’évacuation en cas d’averses intenses. Les espaces extérieurs sont rendus perméables afin de stocker l’eau excédentaire sur place, qui pourra ensuite s’évaporer en période de chaleur.
Ces mesures ont pour effet de valoriser nos centres-villes et nos quartiers tout en améliorant la qualité de vie des habitants. Les parcs et espaces verts publics contribuent indirectement à notre bien-être et à notre santé.
Face à la diversité des mesures à envisager et à mettre en œuvre, il devient évident que même les plus grands efforts en architecture et urbanisme ne suffiront pas à eux seuls à contrer le changement climatique, notamment au vu des réalités économiques. Nos villes et nos quartiers continueront de se réchauffer, et il est impératif de lutter contre les causes du changement climatique au moins autant que contre ses effets.

Un regard vers le sud

Une «méditerranéisation» du climat est en cours, et ce phénomène ne s’arrête pas à l’architecture ni à l’urbanisme. Il est donc utile de regarder vers le sud, où les conditions climatiques que nous connaîtrons peut-être dans quelques décennies sont déjà une réalité. La bonne nouvelle est qu’il existe de nombreux exemples de villes très denses mais agréables à vivre.
L’architecte et urbaniste français Fernand Pouillon a fortement contribué à la reconstruction de la France après la Seconde Guerre mondiale, notamment à Marseille. Son architecture est intéressante car, en raison du manque de matériaux et de moyens à l’époque, elle mise sur la pierre naturelle locale. Par sa simplicité et son dépouillement, elle illustre parfaitement les principes fondamentaux de construction. L’aménagement de l’ancien bassin portuaire, avec ses profondes loggias, ses murs épais et ses façades claires, montre comment géométrie et physique peuvent être utilisées pour construire des intérieurs frais.

Là où ces principes n’ont pas été compris ou appliqués, et où des façades génériques issues de l’architecture d’Europe occidentale ont été reproduites, on voit aujourd’hui partout des échangeurs de chaleur accrochés aux façades. Ce n’est pas le cas des bâtiments de Pouillon à Marseille, qui offrent encore, plus de 70 ans après leur construction, des températures intérieures agréables à leurs habitants.

Bibliographie