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Convivialité des SIC et sécurité des patients – une utopie?

Une nouvelle étude montre que la convivialité des systèmes d’information clinique utilisés à l’hôpital et en cabinet laisse souvent à désirer. Cela peut aussi entraîner des situations dangereuses.

Environ la moitié des médecins suisses qualifient d’inefficace leur système d’information clinique utilisé à l’hôpital ou en cabinet, comme en témoigne une récente étude. Photo: Adobe Stock / milkovasa
Environ la moitié des médecins suisses qualifient d’inefficace leur système d’information clinique utilisé à l’hôpital ou en cabinet, comme en témoigne une récente étude. Photo: Adobe Stock / milkovasa

À la fin 2024, les membres de l’asmac ont été invités à participer à une enquête sur la convivialité (Usability) des systèmes d’information clinique (SIC). Comme ces systèmes représentent aujourd’hui des outils essentiels pour le travail des médecins à l’hôpital et de plus en plus aussi en cabinet, leur effet potentiel sur la sécurité des patients est considérable. L’étude menée sous la direction du Prof. David Schwappach de l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Berne a été soutenue par la FMH. Elle visait à établir pour la première fois en Suisse un état des lieux en matière de convivialité.

Un nouvel outil d’enquête

Pour réaliser cette étude, un nouvel outil d’enquête a été développé dans le cadre d’un procédé itératif complexe visant notamment les domaines-clés pertinents pour la sécurité des patients (p. ex. intégration dans le workflow, navigation, charge cognitive, utilité des messages d’alerte). L’étude transversale nationale a posé trois questions globales (SES – safety, efficiency, satisfaction) et 25 questions spécifiques sur des aspects de la convivialité pertinents en termes de sécurité des patients (SURE, system usability and risk evaluation). L’étude comportait également une question ouverte sur des incidents critiques. Toutes les questions se référaient au SIC avec lequel la personne interrogée travaille majoritairement au quotidien.
1933 médecins utilisant un SIC ont participé à l’enquête, dont 74% travaillent à l’hôpital et 26% dans le secteur ambulatoire des cabinets. Le tableau 1 montre qu’un groupe très divers de médecins a participé à l’enquête.

Principaux résultats

Globalement, le niveau d’insatisfaction (évaluations globales, SES) est élevé dans tous les secteurs et disciplines et pour tous les SIC: 56% des médecins indiquent que leur système n’améliore pas la sécurité des patients; 50% jugent leur système inefficace. Seulement 50% des personnes interrogées sont satisfaites de leur SIC. Les médecins exerçant à l’hôpital donnent d’une manière systématique et significative de moins bonnes notes que les médecins exerçant en cabinet.

Les systèmes d’information clinique à l’hôpital obtiennent en moyenne 49% du nombre maximum de points dans les évaluations détaillées de la convivialité (SURE, 25 éléments), les systèmes d’information clinique utilisés dans le secteur ambulatoire des cabinets 63% des points. Le tableau 2 montre de manière exemplaire les éléments avec une évaluation particulièrement bonne (vert), moyenne (jaune) et mauvaise (rouge). On constate que même pour les meilleurs scores, il reste une marge de progression considérable. Ainsi, moins de deux tiers des personnes interrogées indiquent se souvenir facilement comment utiliser leur SIC.

La mise en œuvre à l’échelon local joue un rôle déterminant

Des différences considérables et significatives sont apparues dans les évaluations détaillées de la convivialité (SURE) entre les produits SIC, tant au sein du secteur ambulatoire des cabinets que du secteur hospitalier. Cela veut dire que tous les produits n’ont pas été évalués de la même manière comme «bon» ou «mauvais», mais que les médecins donnent des évaluations très différenciées en fonction de leur expérience. Une question importante qui résulte des différences substantielles entre les systèmes est de savoir si celles-ci sont en premier lieu imputables au système évalué ou à la mise en œuvre à l’échelon local, c’est-à-dire dans l’hôpital concerné. Cette question a pu être examinée au moyen d’une analyse multiniveau pour les SIC pour lesquels on disposait de suffisamment de données de plusieurs hôpitaux. Elle a montré que 38% de la variance dans les évaluations de la convivialité était imputable à des différences entre les SIC, 51% à des variations internes à l’hôpital au sein du même SIC et seulement 11% à des différences individuelles entre les médecins. Cela souligne l’importance de la mise en œuvre à l’échelon local (p. ex. configuration, fonctions, instruction, soutien et amélioration continus) – le même SIC est évalué de manière substantiellement différente sur différents sites. En revanche, les différences entre les médecins (p. ex. âge, sexe, discipline) ne jouent qu’un rôle secondaire.

Différentes forces et faiblesses

Un avantage de l’outil détaillé (SURE) est qu’il permet de comparer les schémas de réponse dans les évaluations entre les systèmes. Une analyse canonique discriminante a montré que les SIC les plus souvent évalués présentent des profils de forces et faiblesses très différents et que les réponses dans l’outil SURE parviennent bien à les reproduire: parmi les principales caractéristiques de différenciation ont été identifiés des temps de chargement longs, des messages d’alerte inutiles, la mise en évidence de données saisies de manière erronée, la collaboration avec les collègues internes et le travail efficace. C’est sur ces aspects que se différencient considérablement les SIC les plus répandus.

Certaines questions abordaient aussi directement la sécurité des patients: les personnes interrogées pouvaient indiquer si un évènement lié à la sécurité était survenu dans le cadre du travail avec le SIC au cours des quatre dernières semaines, et de quel type d’évènement il s’agissait. Près de 400 personnes (23,9%) ont répondu avoir vécu un évènement lié à la sécurité en lien avec le SIC. La moitié de ces évènements n’ont pas été formellement annoncés (p. ex. dans un CIRS ou par un avis au service informatique). Les rapports détaillés (n=385) comportaient en partie des situations à risque sérieuses, par exemple des temps de chargement très longs dans des situations d’urgence ayant entraîné une mise en danger des patients ou le «saut silencieux» d’un dossier de patient à l’autre ayant pour conséquence d’établir des ordonnances pour le faux patient. Les rapports ont été classés selon des domaines thématiques généraux (illustration).

Effets directs et indirects de la convivialité

Dans les secteurs à haut risque comme la médecine, une mauvaise convivialité des produits informatiques se traduit par des risques directs pour les patientes et les patients. Cliquer sur la mauvaise date lors de la réservation d’un vol dans un logiciel peu clair est ennuyeux, mais prescrire un médicament au mauvais patient peut vite s’avérer dangereux. Ce sont précisément des évènements de ce type qu’un nombre considérable de médecins interrogés ont évoqué dans notre étude. Outre ces effets directs, p. ex. résultant d’une mauvaise représentation graphique, la convivialité a aussi des effets indirects sur la sécurité des patients: l’exécution de nombreuses tâches est perçue comme fastidieuse, pénible et comme une entrave au déroulement du travail. Une surcharge cognitive et la fatigue peuvent aussi représenter un danger. D’après de grandes études réalisées aux États-Unis, la meilleure convivialité des SIC est corrélée à une charge de travail et un taux de burn-out réduits chez les médecins et le personnel soignant. Le décalage entre les promesses de la numérisation («plus de sécurité» et «plus d’efficacité») et les expériences faites par les médecins est inquiétant.

Conclusions et perspectives

Notre étude a pu montrer comme première référence nationale pour la Suisse que les médecins ne sont globalement pas satisfaits de la convivialité des SIC actuellement utilisés en ce qui concerne la sécurité des patients. D’importantes différences apparaissent cependant aussi entre les systèmes et l’implémentation à l’échelon local dans les hôpitaux. Cela souligne l’importance des départements informatiques quand il s’agit d’adapter le SIC aux besoins d’une clinique, de l’intégrer dans le workflow respectif et d’apporter une assistance dans le travail quotidien. Au terme de l’étude, on dispose par ailleurs d’un outil fondé sur un questionnaire qui peut être utilisé pour des projets à l’échelle locale. Par exemple pour évaluer l’efficacité de mesures et adaptations dans les SIC. À l’échelon national, il est souhaitable de réaliser des enquêtes subséquentes qui surveillent l’évolution au fil du temps, comme cela se fait déjà dans certains pays scandinaves. Il est urgent de disposer de comparaisons transparentes entre les SIC pour identifier et aborder de manière ciblée des domaines où des améliorations sont nécessaires. Les répercussions de la numérisation doivent être évaluées de manière systématique, tant en ce qui concerne la sécurité des patients que la contrainte pour les collaborateurs, comme cela se fait tout naturellement dans d’autres domaines de la médecine où les conséquences potentielles et les investissements sont d’ampleur égale.

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