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Un artisanat ancien, réinventé au goût du jour

Aux abords de la plaine de la Linth, Manu Mark dirige un atelier spécialisé dans le cuir et le textile. Là, il a su moderniser un métier en voie de disparition.

Manu Mark perpétue un savoir-faire artisanal de plus en plus rare.
Manu Mark perpétue un savoir-faire artisanal de plus en plus rare.

Les rayons orangés du soleil matinal traversent la discrète porte vitrée de la sellerie de Manu Mark et illuminent l’atelier. Nous sommes dans la March, là où le canton de Schwytz touche celui de Saint-Gall, où la Linth s’évade de son canal pour se jeter dans l’Obersee et où l’autoroute Zurich–Coire traverse la plaine. C’est ici, dans ce cadre, que le maître sellier de 34 ans a installé son atelier. Le long du mur, des machines à coudre de toutes tailles; sur les étagères, rivets, œillets, et des centaines de mètres carrés de cuir et de tissus. Contre le fond de la pièce, d’innombrables bobines de fil forment une fresque colorée. «Ce que j’aime dans ce métier, c’est le travail manuel», souligne Manu Mark. Coudre du cuir de qualité reste son étape favorite, mais il apprécie aussi la variété des matériaux avec lesquels il travaille: cuir, textiles, plastique, bois et métal.

Une réussite collective

L’aventure a commencé en 2017, seul dans un petit atelier. Jeune maître sellier, il voulait mettre en œuvre ses propres idées, emprunter de nouvelles voies, loin de la mentalité figée qui dominait parfois la branche. À l’image d’un bernard-l’ermite trop vite à l’étroit dans sa coquille, il a rapidement quitté son premier local. Aujourd’hui, la «Mark Factory» occupe un vaste et moderne espace artisanal dans la zone industrielle de Schübelbach. Son équipe compte désormais trois collaborateurs – un homme et deux femmes, tous trentenaires ou presque. «L’essentiel, c’est l’équipe», affirme-t-il. Si au début il manquait parfois de pairs pour échanger, il peut aujourd’hui compter sur des spécialistes aux compétences complémentaires, qui s’inspirent mutuellement.

Une relève clairsemée

Trouver du personnel qualifié dans la région pour gérer la masse de travail n’a rien d’évident dans ce domaine. Le métier officiel d’«artisan du cuir et du textile CFC, orientation véhicules et technique» n’attire guère les jeunes générations: un travail manuel parfois salissant, exigeant précision et propreté, mais dont les salaires restent peu compétitifs. Conscient de cette difficulté, Manu Mark a instauré des conditions modernes: horaires flexibles, grande autonomie, liberté créative et infrastructures contemporaines. Il est convaincu que seuls des collaborateurs satisfaits sont en mesure de fournir des prestations de haute qualité. Une exigence qu’il applique sans compromis: matériaux de première qualité, finitions irréprochables et produits taillés sur mesure pour chaque client – qu’il s’agisse de refaire l’intérieur d’une voiture de collection, de restaurer une selle de moto ou un meuble ancien, ou encore de concevoir un sac en cuir ou un simple porte-clés.

Une imprimante 3D pour les pièces de rechange

Avec dextérité, Manu Mark enfile un fil rouge foncé dans la machine à coudre, puis trace une couture parfaitement droite. «Ce que j’aime, c’est de pouvoir réaliser et suivre l’ensemble du processus de fabrication d’un produit», explique-t-il. Du choix des matériaux et des couleurs au dessin des patrons, de la découpe au rembourrage, du rivetage à la finition, jusqu’à la remise de l’objet au client: il maîtrise chaque étape. Il apprécie aussi tellement le contact direct avec les clients qu’il a jusqu’à présent délibérément renoncé à embaucher une employée de bureau. Quand le téléphone sonne, il répond lui-même: «On trouvera une solution pour vous», promet-il à un client. Dans la restauration de véhicules anciens, domaine qui le passionne particulièrement, l’improvisation est souvent nécessaire: documentation incomplète sur l’état d’origine, matériaux restreints, techniques artisanales à respecter… Sans compter les pièces introuvables pour les structures de sièges ou les garnitures. Dans ces cas, Manu Mark allume simplement son imprimante 3D et fabrique lui-même les éléments manquants.

Un métier en voie de disparition?

Il ne reste qu’environ 200 ateliers de sellerie en Suisse, survivant dans une niche, menacés comme beaucoup d’autres métiers artisanaux traditionnels. Pourtant, Manu Mark prouve qu’une autre voie est possible. Son secret: marier le meilleur du passé aux possibilités du présent, pour créer du neuf sans trahir ses racines. Certes, les gestes des selliers sont aujourd’hui épaulés – voire remplacés – par de nouveaux outils et machines. Mais à la «Mark Factory», impossible de douter que Manu Mark et son équipe préservent avec passion l’essence même de ce métier séculaire, et qu’ils la cultivent jour après jour, avec un soin renouvelé.