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Smarter medicine: liste Top 5 Santé planétaire

Réduire les diagnostics inutiles et le surtraitement est une façon de rendre service à la fois aux patientes et patients et à la planète.

L’examen radiologique répété est-il vraiment indispensable? Et l’administration d’antibiotiques est-elle nécessaire? Si les traitements ne sont prescrits que lorsqu’ils sont effectivement nécessaires, cela profite à la fois aux personnes et à la planète. Photo: © by smarter medicine
L’examen radiologique répété est-il vraiment indispensable? Et l’administration d’antibiotiques est-elle nécessaire? Si les traitements ne sont prescrits que lorsqu’ils sont effectivement nécessaires, cela profite à la fois aux personnes et à la planète. Photo: © by smarter medicine

Selon les déclarations de la FMH dans sa stratégie sur la santé planétaire, «le changement climatique représente la plus grande menace pour la santé de notre siècle» [1]. Le changement climatique influence la santé par des effets directs et indirects. Directement, il provoque une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur, les fortes pluies ou les tempêtes. Indirectement, il nuit aux écosystèmes, à la qualité de l’eau et de l’air, ce qui entraîne une augmentation des maladies et de la mortalité [2]. En Suisse, cela se traduit par exemple par une hausse de la mortalité cardiovasculaire pendant les vagues de chaleur et une augmentation des maladies respiratoires comme l’asthme, surtout chez les enfants, en raison d’une baisse de la qualité de l’air [3, 4]. Indirectement, le changement climatique a déjà entraîné une extension de la zone à risque de la méningo-encéphalite verno-estivale (aussi appelée encéphalite à tiques) à toute la Suisse, à l’exception du Tessin, ainsi que l’implantation du moustique-tigre asiatique (Aedes albopictus – vecteur des virus de la dengue, du chikungunya et du zika) [4].

Le système de santé, une source importante de CO₂

Le changement climatique ne se limite toutefois pas à des risques sanitaires qui impacteront le travail des collaboratrices et collaborateurs du système de santé dans les années à venir. Le système de santé est également responsable d’environ 6% des émissions de CO2 en Suisse; à l’échelle mondiale, ce chiffre est de 5% (à titre de comparaison, les émissions de CO2 dues aux voyages en avion sont estimées à 2,5% à l’échelle mondiale) [1, 5].

Les médecins occupent une position unique: ils peuvent non seulement informer sur les risques pour la santé liés au changement climatique et expliquer aux patientes et patients comment s’y adapter, mais aussi exercer une influence directe sur les émissions de CO2 du système de santé.

Cela fait plusieurs années que l’Association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique (asmac) se penche sur le thème de la santé planétaire. Dans ce but, elle a mis en place un groupe de travail qui se réunit régulièrement pour élaborer des mesures et discuter de la manière dont le corps médical et l’asmac peuvent contribuer à une planète plus saine et des patientes et patients en meilleure santé. C’est dans ce contexte qu’est née l’idée d’établir une liste Top 5 sur le thème de la santé planétaire, inspirée des listes Top 5 existantes élaborées au cours des dernières années par l’association smarter medicine – Choosing Wisely Switzerland en collaboration avec différentes sociétés de discipline [6].

Depuis 2012, la campagne Choosing Wisely s’intéresse à la surmédicalisation et aux erreurs de traitement, tant au niveau national qu’international [8]. Elle a permis de lancer un débat important sur le recours modéré aux prestations médicales, qui reste très pertinent dans le contexte social, politique et écologique actuel du système de santé. Depuis cette année, la promotion d’un système de santé durable est également un objectif déclaré de smarter medicine – Choosing Wisely Switzerland.

Durabilité n’est pas synonyme d’une baisse de la qualité des soins, au contraire: le concept des cobénéfices est tiré de la politique climatique. Il décrit une stratégie gagnant-gagnant dans le cadre de laquelle une mesure ou une recommandation permet d’atteindre deux objectifs ou plus, sans faire de compromis entre la protection climatique et d’autres objectifs de développement [9]. On citera comme exemple la réduction des surtraitements et erreurs de traitement. Ceux-ci ne nuisent pas seulement aux patientes et patients et gaspillent des ressources, mais s’accompagnent aussi d’émissions de CO2 et contribuent donc directement au changement climatique.

Le chemin vers la liste Top 5

L’idée qui a mené au projet est née au sein du groupe de travail Santé planétaire de l’asmac. En s’appuyant sur des listes de recommandations déjà existantes (p. ex. Choosing Wisely Canada), le groupe de travail a décidé que la liste Top 5 Santé planétaire devait être composée de recommandations issues des listes Top 5 déjà publiées [6, 7]. Les recommandations existantes ont été classées par ordre de priorité par les auteurs, les recommandations pertinentes ont été sélectionnées par consensus et réparties en cinq supercatégories. Cette manière de procéder peut être conciliée avec l’approche des cobénéfices: la mise en œuvre de recommandations existantes se traduit par une réduction des émissions de CO2 dans le secteur de la santé.

Initialement, les auteurs ont évalué les listes Top 5 existantes en leur attribuant des points (zéro à deux points) en fonction de la priorité (zéro = pas de priorité pour la santé planétaire, un = faible priorité pour la santé planétaire, deux = forte priorité pour la santé planétaire; barème de zéro à six points).

De cette évaluation ont résulté six recommandations de six points, trois recommandations de cinq points et dix recommandations de quatre points. Les recommandations de trois ou moins de points ont été exclues à ce stade et n’ont pas davantage été analysées. Il en a résulté un total de 19 recommandations, dont une a été supprimée pour cause de redondance (deux des recommandations à forte priorité se référaient à la prescription et réalisation de procédures invasives dans le respect des ressources); il restait donc 18 recommandations sur lesquelles les auteurs ont poursuivi la discussion.

Lors de la discussion, il est apparu que l’idée initiale d’attribuer les recommandations à cinq points distincts ne permettait pas de tenir compte de manière appropriée du point de vue de la santé planétaire. Les auteurs ont donc décidé de modifier l’objectif et de créer cinq catégories, en lieu et place des cinq points, permettant de classifier les 18 recommandations sélectionnées.

Les catégories ont été définies et formulées, sur la base d’une préparation individuelle, dans le cadre d’une nouvelle discussion; les 18 recommandations ont ensuite chacune été attribuées à une catégorie.

Smarter medicine liste Top 5 Santé planétaire

La discipline qui a publié la recommandation est indiquée entre parenthèses.

1. Pas de diagnostic de routine sans questions ciblées

  • Aucun check-up de santé approfondi régulier chez les personnes asymptomatiques (Médecine Interne Générale Ambulatoire 2021 II).
  • Éviter tout examen préopératoire de routine (laboratoire, ECG, radiographie pulmonaire) chez les patientes et patients ne présentant pas de maladie systémique pertinente (Anesthésiologie et Médecine Périopératoire 2018 I).
  • Ne pas faire de prises de sang à intervalles réguliers (par exemple chaque jour) ou planifier des batteries d’examens, y compris des examens radiographiques, sans répondre à une question clinique spécifique (Médecine Interne Générale hospitalière 2016 I).

2. Éviter les examens par imagerie lorsqu’il est peu probable que les résultats ont une conséquence thérapeutique

  • Dans les cas de vertiges aigus, une anamnèse ciblée et un examen clinique à l’aide du test en trois étapes «HINTS» ou des épreuves positionnelles représentent la première démarche diagnostique, et non une imagerie primaire (Oto-Rhino-Laryngologie et Chirurgie cervico-faciale 2019).
  • Ne pas réaliser de radiographies chez les enfants et les adolescentes et adolescents présentant une entorse de cheville avec un faible risque de fracture significative (Pédiatrie 2024 II).
  • Éviter la tomodensitométrie «corps entier» systématique chez les patientes et patients présentant un traumatisme mineur ou localisé (Chirurgie 2018).

3. Pose de l’indication critique pour les interventions/procédures

  • Ne pas utiliser des équipements invasifs (cathéters, sondes, drains) si aucun bénéfice n’est attendu pour le patient ou la patiente, et réévaluer la pertinence de leur maintien, dans le but d’une ablation la plus précoce possible (Médecine Intensive 2017).
  • Ne pas commencer de dialyse chronique sans garantir un processus décisionnel partagé avec le patient ou la patiente et sa famille (Néphrologie 2018).
  • Pas de débridement arthroscopique en première intention pour une gonarthrose (Orthopédie/Traumatologie 2024).

4. Réduction de la surmédicalisation/du surtraitement

  • Pas d’administration systématique d’antibiotiques en cas de cystite sans complication et de bactériurie asymptomatique (Gynécologie et obstétrique 2022).
  • Ne pas administrer des antibiotiques à large spectre sans une évaluation initiale du caractère approprié du traitement, avec une évaluation quotidienne de la possibilité d’une désescalade (Médecine Intensive 2017).
  • Pas de prescription d’antibiotiques en cas d’infection des voies aériennes supérieures sans signe de gravité (Médecine Interne Générale Ambulatoire 2014 I).
  • Ne pas instaurer une anticoagulation prophylactique chez les patientes et patients médicaux aigus ayant un risque bas d’évènement thromboembolique veineux (Médecine Interne Générale hospitalière 2023 II).
  • Ne pas transfuser des culots globulaires sur la base de seuils arbitraires d’hémoglobine ou d’hématocrite en l’absence de symptômes ou si aucun bénéfice clinique n’a été perçu lors des transfusions précédentes (Soins Palliatifs 2024).
  • Ne pas traiter systématiquement avec des antihypertenseurs des valeurs de pression artérielle supérieures à la normale lors d’une hospitalisation de soins aigus (Médecine Interne Générale hospitalière 2023 II).

5. Décisions médicales en fin de vie

  • Ne pas poursuivre les manœuvres avancées de soutien de la vie chez les patientes et patients présentant un risque significatif de décès ou de séquelles sévères, sans avoir discuté au préalable avec le patient ou la patiente – ou ses proches qui le ou la représentent – des buts thérapeutiques, en tenant compte des valeurs et des préférences personnelles du patient ou de la patiente (Médecine Intensive 2017).
  • Ne pas commencer de traitement anticancéreux chez les patientes et patients atteints d’une maladie avancée/métastatique sans avoir défini les objectifs/bénéfices fonctionnels du traitement avec le patient ou la patiente et sans avoir envisagé un soutien en matière de soins palliatifs (Soins Palliatifs 2024).
  • L’indication à une intervention avec morbidité/mortalité périopératoire et souffrances terminales élevées attendues doit être discutée à l’avance avec toutes les disciplines concernées et en concertation avec le patient ou la patiente (prise de décision partagée) (Anesthésiologie et Médecine Périopératoire 2018 I).

Un fichier PDF de la «Smarter medicine liste Top 5 Santé planétaire» peut être téléchargé ici.

Un «document vivant» pour la protection climatique dans le secteur de la santé

Les auteurs se réjouissent de la finalisation de la liste Top 5 et de son acceptation pour publication par le comité de smarter medicine – Choosing Wisely Switzerland. Pour intégrer le travail dans un contexte plus large, il convient de tenir compte des remarques suivantes:

Les responsables n’ont pas élaboré de nouvelles recommandations pour la liste. Ils n’ont pas non plus repris de recommandations internationales pour les adapter au système de santé suisse. Ce travail consistait à placer les recommandations existantes dans le contexte de la santé planétaire et de la durabilité.

L’évaluation subjective par l’équipe des auteurs constitue un éventuel point faible de ce travail. En effet, un petit groupe de trois personnes a procédé à l’évaluation des recommandations. Celle-ci a été influencée par les avis et intérêts personnels ainsi que les disciplines médicales représentées parmi les auteurs. On peut partir du principe que d’autres spécialistes auraient choisi d’autres recommandations et des priorités différentes. De même, il est compréhensible que les lectrices et lecteurs puissent avoir l’impression que certaines disciplines médicales ne sont pas ou pas suffisamment représentées dans la liste. Le projet a été réalisé en tenant compte de ces aspects. Nous estimons qu’il est plus urgent d’apporter une contribution importante sur le thème de la protection climatique dans le secteur de la santé que de viser la perfection. Pour nous, il s’agissait de faire un pas en avant en publiant cette liste.

Un «document vivant» est un document qui évolue constamment, car il est continuellement mis à jour, révisé et modifié. Bien que la présente liste Top 5 acquerra un certain caractère statique du fait de sa publication, nous sommes, en tant qu’équipe d’auteurs, ouverts à toute critique concernant cette liste et prêts à la considérer comme un «document vivant». Nous souhaitons instaurer un dialogue plus large sur le thème de la protection climatique dans le secteur de la santé; que ce soit avec des réflexions sur la durabilité et les émissions de CO2 dans les guides de pratique ou avec la mise en œuvre de recommandations fondées sur les preuves relatives à la protection climatique dans le secteur de la santé. La réduction de l’utilisation d’inhalateurs-doseurs particulièrement gourmands en gaz à effet de serre ou le renoncement au desflurane, un gaz anesthésiant hautement volatile, seraient des exemples [10, 11].

La santé des personnes dépend directement de l’environnement dans lequel elles vivent. Nous avons tous l’immense opportunité de contribuer directement à façonner l’environnement dans lequel nous vivrons à l’avenir.

Correspondance: manuel.cina@spital.so.ch

Bibliographie

  1. Santé planétaire: stratégie du corps médical suisse sur les possibilités d’action concernant le changement climatique. FMH – Fédération des médecins suisses, 2021. Consultable sur: https://planetary-health.fmh.ch/files/pdf29/20210819-sante-planetaire-strategie-du-corps-medical-suisse-sur-les-possibilites-d-action-concernant-le-changement-climatique.pdf (22.8.2025).
  2. Maibach E, Nisbet M, & Weathers M. Conveying the Human Implications of Climate Change: A Climate Change Communication Primer for Public Health Professionals. Fairfax, VA: George Mason University Center for Climate Change Communication. 2011. P19.
  3. Beggs PJ, Bambrick HJ. Is the global rise of asthma an early impact of anthropogenicclimate change? Environ Health Perspect. 2005;113(8):915–9.
  4. Analyse des risques climatiques en Suisse. Office fédéral de l’environnement, 2025. Consultable sur: https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/publications-etudes/publications/analyse-des-risques-climatique.html (22.8.2025).
  5. Ritchie H. What share of global CO2 emissions come from aviation? 2024. Consulté sur: https://ourworldindata.org/global-aviation-emissions (22.8.2025).
  6. Smarter medicine – Choosing Wisely Switzerland. Top 5-Listen. Consulté sur: https://www.smartermedicine.ch/de/top-5-listen/ueber-top-5-listen (22.8.2025).
  7. Choosing Wisely & Climate Action. Choosing Wisely Canada. Consulté sur: https://choosingwiselycanada.org/climate (22.8.2025).
  8. ABIM Foundation. Choosing Wisely. Consulté sur: https://www.choosingwisely.org (22.8.2025).
  9. Mayrhofer J.P., & Gupta J. The Science and Politics of Co-Benefits in Climate Policy. Environ Sci Policy. 2016; 57, 22–30.
  10. Gupta S, et al. Canadian Thoracic Society Position Statement on Climate Change and Choice of Inhalers for Patients with Respiratory Disease. Can J Respir Crit Care Sleep Med. 2023;7(5):232–9.
  11. Gadani H, et al. Anesthetic gases and global warming: Potentials, prevention and future of anesthesia. Anesth Essays Res. 2011;5(1):5–10.