• La medicina incontra l’arte

Des œuvres à toucher sans modération

«Nous ne sommes pas un musée, mais un hôpital». Tel était, jusqu’aux années 2000, le ton dominant dans de nombreux hôpitaux, centrés avant tout sur «l’objet patient»: des barres de lits optimisées dans l’espace urbain, mais sans «ornement artistique», comme on disait pudiquement. Aujourd’hui, la situation a changé.

La sculpture «8» de l’artiste Not Vital anime la place de l’Hôpital cantonal des Grisons. Photo: Ralph Feiner
La sculpture «8» de l’artiste Not Vital anime la place de l’Hôpital cantonal des Grisons. Photo: Ralph Feiner

Jusqu’au tournant du millénaire, la sensibilité à l’art dans les hôpitaux était faible. Les collections se limitaient à des impressions de calendriers, à des œuvres issues de l’art-thérapie ou à des toiles peintes par des proches de médecins. Dans les chambres de patients, on accrochait des lithographies que malades et soignants remplaçaient régulièrement pour éviter les cauchemars: anges déchus, abstractions noires… Dans certains espaces publics, seules les personnes les plus insistantes parvenaient à organiser des expositions – souvent des artistes amateurs.

L’art favorise le bien-être

Cette époque est révolue. On reconnaît désormais que dans les lieux de soin on a besoin d’une sensibilité particulière – d’une «âme artistique», plus encore qu’ailleurs. Dans l’Antiquité, cela allait de soi: Apollon était à la fois dieu des arts et de la médecine. Ce n’est qu’au XVIIIᵉ siècle que les deux disciplines se sont séparées. Aujourd’hui, grâce à des études internationales [1], on redécouvre combien la pratique artistique active et la contemplation de l’art favorisent le bien-être et le processus de guérison des personnes hospitalisées.

Cet article, qui s’inscrit dans la série «L’art au service de la médecine», se penche sur le thème «art et construction» [2]. Trois exemples réalisés dans le cadre du projet de reconstruction de l’Hôpital cantonal des Grisons (KSGR) [3] en 2020 illustrent cette démarche.

L’art au service de la médecine

La relation entre l’art et la médecine s’inscrit dans une longue tradition; dans l’Antiquité déjà, on pensait que la musique était dotée d’un pouvoir curatif. La série «L’art au service de la médecine» est consacrée aux multiples aspects de cette relation.

Des sculptures immersives, chargées de symboles

Parce que l’art n’a pas de finalité «utile» immédiate, il suscite souvent des résistances. Pourtant, il est de plus en plus démontré qu’il agit comme une forme de médecine complémentaire. Il touche, suscite des émotions, pose des questions que l’on ne se poserait pas autrement. Il peut donner aux personnes qui quittent l’hôpital de nouvelles impulsions pour leur vie – et les faire rentrer chez elles «différentes» de ce qu’elles étaient à leur arrivée. C’est ce que symbolise le projet bleu et jaune «SCARCH»: on y entre par un escalier, on en sort par un autre.

«SCARCH», contraction de Sculpture et Architecture, est une série d’œuvres monumentales immersives du célèbre artiste grison Not Vital, présentes dans le monde entier. La «8» a été conçue pour porter chance à l’hôpital et à ses usagers, mais aussi comme un appel à l’éternité. Véritable repère visuel, elle marque la nouvelle place de l’hôpital et dialogue à hauteur avec les imposants volumes du bâtiment.

Le couperet des économies

Comment naît un projet «art et construction» dans un hôpital? Dans la plupart des cantons, la loi impose qu’une part fixe du budget de construction – généralement entre 0,5 et 1% – soit consacrée à de tels projets. Les règles de marchés publics déterminent ensuite la procédure à suivre (mandat direct ou concours), selon le montant. Mais trop souvent, face aux restrictions budgétaires, c’est l’art qui est sacrifié en premier.

Penser l’art dès le départ

Les projets réussis sont ceux qui intègrent l’art très tôt dans les réflexions d’un nouveau bâtiment. Plus les questions essentielles sont formulées clairement dans le dossier de concours, plus l’art pourra se tisser harmonieusement avec le lieu et ses usagers. Ces réponses se construisent collectivement, à travers des processus participatifs impliquant les différents acteurs internes et externes. Un rôle central revient au chef ou à la cheffe de projet, capable de «traduire» entre le langage de l’art et celui des autres parties prenantes, depuis le concours jusqu’à la réalisation finale.

Questions-clés et impulsions extérieures

Les questions abordées ici sont les suivantes:

  • Où souhaite-t-on installer des œuvres?
  • Quels publics doit-on toucher?
  • Le budget doit-il être concentré sur un seul projet ou réparti sur plusieurs?
  • Faut-il réserver certains lieux à des œuvres permanentes et d’autres à des installations temporaires?
  • L’art doit-il rayonner au-delà du site (œuvre repère)?
  • Peut-il relier plusieurs espaces (fil rouge, intérieur–extérieur)?
  • Peut-on envisager une œuvre «utile» (fontaine, abri, aire de jeux)?
  • Quel équilibre rechercher entre artistes établis et jeunes talents, entre genres et origines géographiques?

Pour stimuler l’inattendu, on peut aussi inviter une «wildcard»: une personnalité atypique, en marge du cadre défini, qui peut apporter un nouvel élan grâce à sa philosophie et à son orientation artistique.

Œuvre repère Objet interactif Empreinte à travers plusieurs lieux Identité/bien-être (effet à l’intérieur) Art utile (fontaine, lumière, place, etc.) Image/RP (effet à l’extérieur) L’art et son potentiel pour les investisseurs, les lieux et les utilisateurs «No Problem», Not Vital «Beautiful Entrance #8», Lang/Baumann - «Tension Energy», Costas Varotsos «Louis Chevrolet», Christian Gonzenbach «URSINAE», Sophie Bouvier Ausländer «Crown Fountain», Jaume Plensa «C A L I X», Kris Martin «S C A R C H», Not Vital «Giardino Volante» 4 Künstler (Pistoia/I) «Upside Down», Sophie Bouvier Ausländer «Prima Cucina», Zilla Leutenegger «Biological complexity ...», Aljoscha «My elastic eye», Raphael Hefti «Curry und Paprika», Christian Gonzenbach «Fabelhaft war der Apfelsaft», Yves Netzhammer «ARC I-V», Beat Zoderer «Where does the rainbow end?», Katja Loher «Côté cour – Anehom lisant Voltaire», Nikola Zaric «Aussenthermometer 2011», Michael Sailstorfer «Tastende Lichter», Pipilotti Rist «Anne-Sophie», Alex Hanimann «o. T.», Annelies Strba «Vitra Rutschturm», Carsten Höller «Not to get Lost», Julian Charrière «Birds and Trees», Claudia Comte

Le moment idéal pour lancer un projet artistique est juste après le concours d’architecture ou au début du projet. L’art et l’architecture peuvent alors dialoguer, s’influencer, et les intégrations techniques (accroches, éclairages, connexions vidéo) peuvent être prévues dans le gros œuvre.

Ainsi, l’ellipse lumineuse de Christian Herdeg a pu être intégrée dès la conception de la halle intérieure, grâce au plafond miroir conçu par Staufer & Hasler Architekten. Résultat: selon le point de vue, un jeu infini de reflets et de couleurs émane de cette sculpture lumineuse rouge en haut, bleue en bas. L’œuvre, évoquant l’orbite d’un astre qui tourne tranquillement et brille comme un point fixe dans le firmament, confère calme et constance au lieu d’attente.

Un contrepoint à l’univers high-tech

Le budget artistique du KSGR a été réparti sur trois projets. Le troisième a pris place dans le restaurant: «Prima Cucina» de Zilla Leutenegger. L’installation associe fresque murale et plafond peint, en combinant la technique traditionnelle du sgraffite et le monotype avec des éléments interactifs. Avec son style caractéristique et ses esquisses semblant «épinglées» sur le béton brut, Leutenegger propose un contrepoint à l’univers high-tech de la médecine et de la technique du bâtiment. Son œuvre dégage chaleur et curiosité, contribuant ainsi au bien-être des usagers.

Une tradition à l’Hôpital cantonal des Grisons

Depuis sa fondation en 1940, l’Hôpital cantonal des Grisons a toujours intégré l’art et la construction à chaque projet d’agrandissement ou de rénovation. Parallèlement, une commission artistique est responsable d’expositions temporaires dans les espaces publics intérieurs et extérieurs [4]. Elle s’efforce chaque année d’apporter de nouvelles perspectives et de toucher divers publics autour de l’hôpital. Car l’art n’a qu’une seule mission: provoquer une émotion.

Notes et références

  1. Le rapport de l’OMS Europe (2019),  «What is the evidence on the role of the arts in improving health and wellbeing?», synthétise plusieurs milliers d’études.
  2. Le terme actuel «art et construction» reflète l’idée d’un tissage entre art et architecture. Autrefois, on parlait d’«art intégré» (Kunst am Bau), quand l’art se contentait d’être ajouté après coup (mosaïque, fresque murale, sculpture d’entrée).
  3. Friederike Schmid, Lic. oec. HSG, est cheffe de projet art et construction au KSGR depuis 2018 et présidente de la commission artistique depuis 2019. Elle s’engage à offrir, par l’art professionnel, toujours de nouvelles perspectives sur l’hôpital, son environnement et les personnes qui le font vivre. Plus d’informations:  Plus d’informations: www.ksgr.ch/kunst et www.combyart.ch
  4. Quelques expositions récentes au KSGR:
    2022/23 «Der Zauber des Alltäglichen» (La magie du quotidien), avec l’artiste de land art Strijdom van der Merwe, marquant la réouverture post-COVID et un regard sur l’environnement immédiat.
    2023/24 «Das KSGR und seine Menschen» (Le KSGR et ses usagers), par le photographe Mark Henley, valorisant les femmes et les hommes de l’hôpital.
    2024/25 «Flower Power – Heilende Pflanzen» (Flower Power – Plantes médicinales), plus de 100 œuvres florales prêtées ou créées, accompagnées d’événements bimensuels autour de la nature et de la médecine.
    2025/26 «Heilen ist Kunst ist Heilen. Kunst auf Verordnung.» (Guérir est un art, l’art est une guérison. L’art sur ordonnance.), par Hubert Crevoisier, verrier, qui installe son atelier dans l’hôpital et y reçoit régulièrement patient·es et employé·es sur ordonnance.